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Sarcelles au cinéma

Les dessous des grands-ensembles
Article publié le samedi 13 juin 2020 à 12h31
Dans les années 1950, les productions françaises quittent les studios pour tourner en décors naturels et la banlieue devient un sujet de prédilection. Dans ce contexte, dès leur construction, les grands ensembles attirent les cinéastes. Denys de la Patellière filme Jean Gabin, contremaître sur le chantier du quartier de Lochères (Rue des prairies, 1959). Sans prendre parti sur la construction de ces blocs de béton, le cinéaste observe les dures conditions de vie de la classe ouvrière : Henri Neveux peine pour élever au mieux sa fille Odette (Marie-José Nat), son fils Louis (Claude Brasseur) et Fernand, l'enfant adultérin de son épouse décédée. La grisaille des semaines, la rudesse du travail contrastent avec la tranquillité des dimanches, dans une guinguette paisible et verdoyante, sur la plage de l'Isle-Adam.

Pierre Tchernia s'intéresse aux grands ensembles qui poussent comme des champignons et interroge les habitants, anciens ou nouveaux, dans un bistrot ou au pied des immeubles, tous déroutés par le choc architectural et social qui s'est déroulé en à peine dix ans (Cinq colonnes à la une : Quarante mille voisins, Jacques Krier, 1960).. Et l'on découvre l'intérieur tout confort d'un appartement témoin tandis qu'une jeune femme regrette le loyer trop élevé de ces cages à lapins. En voix off, un commentateur se lamente devant cette ville sans passé qui se meurt d'une maladie honteuse, la « Sarcellite » :

« Au point du jour, on prend conscience de ce que c'est qu'une ville dortoir, les hommes sont partis travailler et le grand ensemble va vivre sa journée uniquement avec des femmes et des enfants. Nous sommes ici dans un univers domestique, dans un ensemble de foyers, une ville sans usines, sans bureaux, sans ateliers, sans fumée, sans bruit, sans circulation… »

Le ton est le même quand Jean Gabin revient à Sarcelles pour Mélodie en sous-sol (Henri Verneuil, 1963). Le cinéaste fait ressortir le gigantisme des tours en les filmant en contre-plongée et les dialogues de Michel Audiard se moquent des slogans publicitaires de l'époque qui invitent les « sans-abris » et les Français modestes à quitter leurs taudis parisiens pour rejoindre les nouveaux pionniers dans ces appartements modèles, aux cuisines équipées et branchés sur le tout-à-l'égout. Libéré d'une longue peine de prison, Charles descend en gare de Sarcelles-Lochères. Il cherche sa maison au milieu des immeubles qui ont poussé comme des champignons et continuent de sortir de terre en quelques jours à peine :

– Pardon, la rue Théophile-Gautier, s'il vous plaît ?
– Théophile Gautier, ici, à Sarcelles ? Ca n'existe pas !

Et Gabin-Charles de se lamenter à haute voix :

« Bah, ils ont tout de même pas rasé ma cabane, Ginette m'aurait écrit… Et ben !… Dire que j'avais acheté ici pour les arbres et puis pour la zone verte…
C'est devenu New York la zone verte ! »

La Patellière et Verneuil opposent les cités aux images stéréotypées du Paris populaire. Les tours érigées dans l'urgence symbolisent une société en pleine mutation qui oublie ses repères traditionnels, au risque d'une déshumanisation. Ces réalisateurs négligent les habitants, leur caméra reste à l'extérieur, ne franchit pas les halls d'entrée, encore moins les cages d'escalier.

Quand le septième art représente la vie rythmée des buildings, c'est pour en faire le lieu de prédilection des délinquants. Les Gabin, Ventura, Delon et Belmondo, truands embourgeoisés des Trente Glorieuses, cèdent la place aux voyous des banlieues. En 1973, dans Il n'y a pas de fumée sans feu, André Cayatte investit les Flanades, la place de France et la MJC pour dénoncer la corruption des édiles locaux et la collusion entre le pouvoir politique, la police et la justice. Dans Dernière sortie avant Roissy (Bernard Paul, 1977), Monique (Anne Jousset) et Didier (Pierre Mondy), qui vivent dans un immeuble de Sarcelles, s'enfoncent peu à peu dans la médiocrité, elle le trompant avec un collègue, lui dérobant des pièces automobiles chez son patron. Barricadé dans son appartement, il finit par tirer sur la foule avant de se rendre. Ici, la dénonciation porte sur la promiscuité, l'isolement et l'aspect concentrationnaire des grands ensembles. Néanmoins, la fin se veut optimiste. Quand la foule se disperse de l'esplanade où elle s'était rassemblée, le générique se déroule sur l'air de « Ma jeunesse est source de vie » et « Laissez-moi croire en l'avenir ».

Malik Chibane s'est peut-être inspiré de Dernière sortie avant Roissy pour réaliser ses chroniques de la banlieue, à Goussainville pour la première, à Sarcelles pour les deux autres : Hexagone (1993), Nés quelque part (1997) et Voisins, voisines (2005). Dans ce dernier film, les adolescents paumés d'Hexagone sont devenus trentenaires, leur niveau de vie a changé et certains ont accédé à la propriété. Ceux de la résidence Mozart, coincée entre le village et les grands ensembles, fêtent avec un an d'avance la fin de leur crédit immobilier. On croise dans la cage d'escalier, un conseiller municipal un peu magouilleur, une juive tunisienne, un rappeur en mal d'inspiration… Religion et couleur de peau ne sont qu'accessoires pour tous ces voisins de palier. Si les personnages sont un peu stéréotypés, le discours ne l'est pas. Loin du misérabilisme et de la représentation gratuite de la violence, Malik Chibane conteste le soi-disant échec de l'intégration, devenu depuis quelques années un truisme du discours médiatique et politique. Sa vision n'est pas béate ni sottement optimiste, elle s'attache à mettre en lumière des modèles d'intégrations réussies dont bien des exemples existent dans la réalité.

Karin Albou adopte une problématique identique dans La Petite Jérusalem (2005). Dans ce joli film, la réalisatrice évoque les errements de deux sœurs juives élevées à Sarcelles. Coincées entre la tradition et la modernité, le poids de la religion et le désir d'émancipation, Laura (Fanny Valette) et Mathilde (Elsa Zylberstein) s'interrogent sur la loi, voient leurs certitudes vaciller et inventent leur propre expression de la liberté et du désir.

En 2013, deux instituteurs, Yann Couëdel, derrière la caméra et au montage et Jean-Yvon Lafinestre, au micro, ont sillonné et filmé la vie de tous les jours à Sarcelles. Dans le web-documentaire Sarcelles, un autre visage, ils suivent le facteur de Lochères, Basilio, le chauffeur du bus 368 qui chante son quotidien en version rap, des papas et des mamans du Grand Ensemble, des petits commerçants locaux ou la vie au centre social "Ensemble".

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