Dominique Marcas a vécu de longues années dans une petite maison de pierre qui surplombe la rue principale de Butry-sur-Oise. Dès l'entrée, le ton était donné. Une multitude de photographies trônaient aux murs d'une petite cuisine, avec en tête, les clichés des fidèles complices de l'actrice : Maria Casarès, Arletty et Edwige Feuillère. Un raide et étroit escalier plus tard, on se retrouvait au pied d'une superbe mezzanine où tout respirait le bois ancien et les vieux papiers. Livres, lettres et photos cohabitaient avec harmonie, sorte de machine à remonter le temps permettant de raconter presque un siècle de cinéma.
De son vrai nom Marcelle Napoléone Perrigault — un vrai nom de cinéma — Dominique Marcas est née le 8 août 1920 à Dozulé, Calvados, (elle vient de fêter son centenaire); de deux jumelles, la seule à avoir été tirée vivante du ventre de sa mère. Elle quitte sa Normandie natale pour gagner la capitale et faire quelque chose de sa vie, comme perdue dans ce monde où sa frêle silhouette et sa santé fragile ne laissent guère d'illusion à proches quant à une éventuelle longue durée de vie.
La jeune Marcelle devient institutrice dans une école catholique et, parallèlement, attirée par le théâtre, s'inscrit à des cours d'art dramatique. Fascinée par le jeu de Maria Casarès, elle lui écrit un jour, pour lui dire toute son admiration et pour lui souhaiter la bienvenue dans notre pays, elle la déracinée, la réfugiée d'origine espagnole.
« Je l'ai vue dans La Chartreuse de Parme et j'ai pensé : "On ne peut pas jouer comme ça sans avoir souffert", raconte Dominique. Dans ma lettre, je lui ai expliqué que l'exil est la pire des choses et lui ai souhaité d'être heureuse chez nous. »
Maria Casarès, qui ne répond habituellement jamais aux lettres, est touchée par ce courrier original. Elle invite Marcelle à lui rendre un jour une petite visite. Cette rencontre aura lieu bien plus tard au théâtre Marigny :
« Petite, carrée, mal attifée, mal coiffée, sans grâce aucune, elle m'est apparue comme une des créatures les plus défavorisées et - du moins je l'ai cru - les plus désarmées que le théâtre se plait à appeler, écrivait Maria Casarès dans ses Mémoires. La manière dont elle offrait son bouquet, les paroles timides qu'elle prononçait, étaient des plus conventionnelles que j'aie jamais vues et entendues ; et pourtant, dans le petit oeil caché à demi sous ses stores, dans la manière de s'avancer, dans ses voix ferme malgré une sincère timidité, dans l'impression d'isolement qu'elle dégageait mais qu'elle portait avec une naturelle dignité, on devinait une force de vie et de courage qui, depuis, n'ont à jamais cessé de me stupéfier. »
Plus tard, l'apprentie comédienne rencontre Arletty et "la gueule d'atmosphère" est aussitôt séduite par ce personnage singulier. En quelques jours, Marcelle-Napoléone vient d'être adoptée par deux marraines illustres. En hommage à Arletty, elle choisit le prénom de Dominique, d'après le rôle de celle-ci dans
Les Visiteurs du soir, et opte pour Marcas, à cause de Maria Casarès.
Son premier film, est l'obtient en 1950 avec
Justice est faite, d'André Cayatte. Suivent
Un grand patron (Yves Ciampi, 1951),
Les Belles de nuit (René Clair, 1952) ou
Rue de l'Estrapade (Jacques Becker, 1952).
En 2000, elle répond à une petite annonce de Libération et trouve le rôle de sa vie dans
Rue du retrait. Un titre au combien symbolique pour cette femme qui a toujours vécu dans la discrétion. Elle joue le rôle de Mado, une femme toute rabougrie qui vit dans un appartement sale, sordide et désolant. Beau témoignage sur la précarité, la vieillesse et l'exclusion,
Rue du retrait est porté de bout en bout par Dominique, filmée avec beaucoup de dignité et de finesse par René Féret.
En 2005, âgée de 85 ans, elle interprète une morte dans un cercueil à la maison de retraite de Pontoise, sous le regard impressionné de Claude Lelouch, producteur de
Nos amis les Terriens (Bernard Werber, 2005). Un joli pied de nez à la vie pour celle qui devait mourir jeune.