Ce fut une épreuve difficile pour Kirk Douglas d'incarner Van Gogh dans La vie passionnée de Vincent Van Gogh, de Vincente Minnelli. Seules quelques unes des dernières scènes du film sont réalisées à Auvers-sur-Oise, mais quelles scènes ! Celle du suicide, tout d'abord :
« Je me voyais moi-même dans ces masses tourbillonnantes de couleurs, flammes jaillies du plus profond de ses entrailles. Et quelle horreur dans ce champ où il avait peint son dernier tableau, Les corbeaux dans le champ de blé : je me retrouvais appuyé contre l'arbre où il s'était appuyé, un revolver à la main... le fracas de la détonation. C'était le film le plus triste que j'eusse jamais tourné. J'avais hâte qu'il se terminât [NDLR : depuis il a été prouvé que ce tableau n'est pas le dernier de Van Gogh]
(...) Au cours du tournage, je portais de lourds souliers, comme ceux qu'il portait, lui. J'en laissais toujours un dénoué, de façon à me sentir déséquilibré, prêt à trébucher. Ce lacet dénoué lui donnait - et me donnait - une démarche traînante. Ma femme m'a dit qu'il m'a fallut longtemps pour sortir de ce personnage. Lorsque le soir je revenais chez moi après le tournage, elle m'entendait marcher comme Van Gogh, et cela dura même après la fin du tournage. J'avais l'impression de franchir une frontière, de me glisser dans la peau de Van Gogh. Je n'avais pas seulement une ressemblance avec lui : j'avais le même âge que lui lorsqu'il se suicida. »
Toute l'équipe investit le village des peintres au début du mois d'août 1955. Plus d'un mois a été nécessaire pour que le centre ville ressemble à ce 14 juillet 1890, lorsque van Gogh se mit à peindre la toile représentant la mairie, lors de la fête nationale. Selon Micheline Tagliana, qui tient alors « La Maison Van Gogh », les carreaux de sa vitrine sont enlevés afin sans doute de faire entrer facilement la clarté du soleil. Les techniciens changent le bar de place, modifient l'intérieur comme le vieux papier peint rose. Minnelli voulait que l'atmosphère soit imprégnée de jaune. La chambre du peintre est reconstituée, la salle du rez-de-chaussée a retrouvé ses murs tapissés de vert et ses tables de bois. La librairie de M. Gazanois devient la façade d'une boulangerie.
Des camions ont amené chaque jour des arbres que l'on dépose tout autour de la place. Tous les soirs, ces arbres sont arrosés copieusement. Deux d'entre eux servent principalement à masquer un transformateur. Avant l'arrivée de l'équipe, la sirène de l'église fut démontée car elle n'apparaissait pas sur le tableau de la mairie peint par Van Gogh. La scène la plus répétée fut celle où, lorsque le maire apparaît au balcon, toute la foule doit crier « Vive Monsieur le Maire, vive Monsieur le Maire ! » Il était difficile de mettre de l'ordre avec tout ce monde.
Trois cents figurants d'Auvers et des localités environnantes ont été réunis, payés 1 500 F par jour, pour les adultes, et 400 F pour les enfants.
La séquence du suicide s'est déroulée sur la route d'Hérouville, au lieudit Clairbois, sur un terrain appartenant à Fernand Porto , à l'abri des regards indiscrets. Celle-ci inquiéta beaucoup le réalisateur :
« C'était à la fin de juillet, les fleurs commençaient à perdre leur éclat et les champs de blé devaient être fauchés. (...) Des membres de l'équipe du film - arrivés pour effectuer des repérages deux mois auparavant - essayaient de détourner le cycle naturel en maintenant artificiellement en vie un champ de blé jusqu'à la date de mon arrivée !
J'allais être contraint de filmer en premier la scène du suicide de Van Gogh. Bien que peu de films soient tournés en continuité, débuter le tournage par une séquence majeure constituait pour moi un problème, car de ne pas assurer la continuité des séquences demeure ma grande crainte ! »
Groupes électrogènes, caméras, roulottes, cars Fullmann, ont formé un vaste camp autonome où ne manquaient même pas le bar et le restaurant. Dans d'immenses cages, les corbeaux attendaient d'être libérés. Autour du cercle dans lequel Kirk Douglas se trouvait seul, les machinistes, les cameramen, évoluaient silencieusement rendant plus angoissante encore cette scène puissante. Le visage de Vincente Minnelli était crispé d'émotion…
Le lendemain, plus détendu, Kirk Douglas rendit visite aux journalistes de l'Avenir de l'Ile-de-France, qui s'initia au secret de la mise en page avant de signer de nombreux autographes.
La sortie du film fut célébrée un an plus tard, avec une projection spéciale au « Tivoli », ancienne salle aujourd'hui occupée par « Le café de la paix ».
Kirk Douglas apprécia beaucoup Auvers-sur-Oise et y revint d'ailleurs, il y a quelques années, pour notamment se recueillir sur les tombes de Vincent et de Théo.
« A Auvers-sur-Oise, je m'étendis sur un lit dans la petite chambre qu'il avait occupée au-dessus d'un café (à présent café Van Gogh), et en regardant par la fenêtre, je voyais ce qu'il avait vu : la ville avec tous ses drapeaux, telle qu'il l'avait peinte. Nous habillâmes les paysans du cru avec les vêtements de l'époque : ils avaient l'air sortis d'un de ses tableaux. Lorsque je marchais dans les rues, certains vieux paysans qui avaient connu Van Gogh se signaient en disant, stupéfaits : « Il est retourné ». »