Au début du cinéma muet, pour couvrir le bruit agaçant de l'appareil de projection, on introduisit la musique d'accompagnement :
« Avec le progrès des films, on eut le souci d'adapter aux situations psychologiques des personnages des morceaux qui pouvaient correspondre à leur atmosphère. Les soudures entre les divers fragments (...) étaient souvent faites avec goût. La musique de film naissait. »
C'est dans ce contexte que Julien Porret eut l'idée de fonder la
Film Music Collection, dont les morceaux sont destinés à sonoriser les différentes situations : amour, passion, violence, orage, chaque œuvre étant complète en elle-même.
Né d'une famille modeste à Paris en 1896, il obtient le premier prix de cornet du Conservatoire de Musique de Paris, en 1914, et celui de trompette en 1919. Après une tournée aux États-Unis, il revient à Paris avec de nombreuses notes sur les premiers jazz bands. Il devient ambassadeur du jazz en France, l'un des premiers instigateurs et éditeurs de musique noire américaine.
C'est durant les années vingt qu'il se lance dans la composition et l'édition de musiques de films muets. Il trouve le financement de sa petite entreprise en jouant de la trompette dans les orchestres de nuit et en réalisant des arrangements l'après-midi. Il travaille le matin pour compléter sa collection. Il s'installe à La Barre Ormesson dans une superbe villa en meulière nommée : Villa Mozart. L'édition propose ainsi des préludes, des berceuses, des marches, des valses, des poèmes symphoniques, des descriptifs, etc. Tout un programme aux titres évocateurs :
Marche Mystérieuse,
Enchantement, la
Tendresse d'Egine,
Tennis Flirt, l'
Horrible Vision...
Il compose aussi des incidentiels : l'
Orage, la
Peur, le
Gouffre, le
Naufrage, des imitatifs : l'
Avion, le
Train, ou des burlesques : le
Pou Constipé ou le
Bigorneau Perfide !!
Cette collection eut un énorme succès mais l'irruption du parlant ruine l'édition. En quelques mois elle périclite, les orchestres sont licenciés. Grâce à son talent, la Tobis et la Paramount lui font un "pont d'or" et, dans les studios de Joinville ou d'Epernay, il enregistre jour et nuit.
La qualité importe guère, les producteurs bâclent un film en quatre jours. Pour un travail pareil, il faut des musiciens de tout premier ordre, rompus au déchiffrage et à l'improvisation. La prise de son est directe et souvent sans aucune répétition préalable. Par contre, les salaires sont énormes, 6 000 F par séance, plusieurs fois par jour (à titre de comparaison, une dactylo gagne 600 F par mois).
Avec et pour Jean Lenoir, il compose et orchestre la musique d'une quantité de films :
Le Mystère de la chambre jaune,
le Parfum de la dame en noir,
Sa majesté Anastase, etc. Avec Heymann :
Tout est permis quand on rêve,
Le Capitaine Cradock, dans lequel se trouve cette chanson qui sera un succès extraordinaire
Les Gars de la Marine, ou bien
Le Bal, premier film de Danielle Darrieux, tout juste âgée de quatorze ans.
Il écrit encore la musique du
Petit Jacques, avec Harry Baur, et deux films avec Fernandel,
Une Journée de folies et
Un Dimanche chez les nudistes, où le célèbre comique chante
Tout en bois, chanson composée par Julien.
Mais le cinéma le déçoit, car au montage ses compositions sont tronquées. Sérieux et consciencieux, il préfère travailler calmement, dans l'intimité. Il préfère se consacrer aux orchestres de jazz. Il continue cependant de fréquenter le milieu du cinéma en créant tout un ensemble de disques, gratuits, qu'il distribue dans les salles obscures pour égayer les débuts et les fins de séances.
Après la guerre, il se consacre entièrement aux ouvrages pédagogiques qui manquaient cruellement devant l'afflux des élèves dans les conservatoires et écoles de musique.
Le 11 janvier 1979, il s'éteint, une partition inachevée sur sa table de travail.