À l'angle de la rue Cauchoix et du boulevard de Montmorency, côté cimetière, a vécu l'un des plus grands seconds rôles du cinéma français. Saturnin Fabre, né à Sens en 1883 et mort en 1961, a marqué de son empreinte les quelques vingt-cinq années cinématographiques qu'il a traversées.
Sa carrière, il l'entame au théâtre de façon fantaisiste, en changeant de pseudonyme à chaque nouvel engagement, s'appelant un jour Jean Naimard, un autre jour Sam Court ou Clairefontaine. Il débute au cinéma en 1912, dans
Max et sa belle-mère, de et avec Max Linder. Quel cinéphile pourra oublier ses interprétations divines où, tour à tour psychiatre farfelu (
Vous n'avez rien à déclarer), terrible inspecteur des casernes (
Les Dégourdis de la onzième), vieux collabo bourgeois (
Les Portes de la nuit), oncle original qui déclame à son neveu, Bernard Blier :
tiens ta bougie... droite !, sur un ton tonitruant, dans une maison où il a banni l'électricité (
Marie-Martine), extraordinaire Adhémar Colombinet de la Jonchère (
Ils étaient neuf célibataires), inoubliable crapule, il savait tout jouer et s'appuyait sur un phrasé atypique, savoureux et pétillant, proche du défaut de prononciation. Il transformait la moindre scène en anthologie du cinéma.
Colette nous le décrit ainsi dans
La Jumelle noire :
« Aucun [comique] ne dispose de la cocasserie à la fois disciplinée et imprévue qui resplendit en Saturnin Fabre. Un air de suspicion, un farouche regard abrité sous le sourcil, le mépris du rire - sauf un éclat bref et gros - le ton et le geste comminatoires...»
Tout aussi farfelu dans la vie, Saturnin Fabre demande un jour à sa compagne d'alors, la diva Marfa Dhervilly :
- Quand déjeune-t-on ?
- À midi et demi.
- Je viendrai déjeuner à midi et demi. Un petit tour et je reviens.
Il quitte son domicile, prend le train pour Paris, puis celui du soir pour Chamonix. Pendant plus de deux mois, il séjourne dans un chalet isolé. La police le recherche. Crime ou suicide ?
Enfin, il revient « au nid de verdure ». Marfa, amaigrie, croit voir apparaître un revenant :
- Toi ?
- Tu m'as dit que nous déjeunions à midi et demi. Il est exactement midi et demi. Je n'ai pas spécifié le jour où je viendrais déjeuner à midi et demi.
Le 23 mai 1949, Saturnin Fabre écrit une lettre au maire de Deuil :
« Lorsque j'ai appris à Francis Carco que ma résidence se trouvait à Deuil, il me répondit : Deuil, nom sinistre, mortuaire, image permanente, officielle de la douleur, du froid de la mort. Quel est le croque-mort qui a baptisé le paradis des fruitiers du nom de Deuil ? Je n'habiterai jamais une commune qui s'appelle Deuil. J'ai horreur du noir.
Votre idée magnifique d'effacer ce nom ridicule, cette élucubration grotesque de fossoyeur, apaisera la gêne chez ceux qui prononcent « Deuil », l'effroi chez ceux qui entendent « Deuil ».
Je vous propose un nom situant géographiquement la cité et coupant court aux perturbations postales inhérentes à toute appellation nouvelle : Dueil-sous-Montmorency. »
Cette lettre est suivie d'une vague de protestations de la part de quelques habitants, dont une conseillère municipale de la ville, sous la forme d'un imprimé titrant :
Faut-il changé le nom de Deuil ?. Devant ce tollé de critiques, le comédien s'incline, non sans humour d'ailleurs, et conclue ainsi une autre lettre envoyée au maire :
Mais pour cette conseillère vigilante qui prise le funéraire, restons en Deuil !
Saturnin Fabre a laissé le souvenir d'un personnage pittoresque, quelquefois insupportable ou exubérant, mais il était toujours lui-même et reconnaissable par tout le monde. Pour Jean Tulard :
ce premier prix du Conservatoire occupa une place à part dans la production française : immense, doté d'une voix grave et d'un physique avantageux, torse bombé et verbe tonitruant, il volait la vedette aux autres acteurs, accaparant toute l'attention.
Il est l'auteur d'un roman autobiographique écrit sous le pseudonyme de Ninrutas Erbaf :
Douche écossaise .