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1901-2021 : 120 ans de cinéma dans le Val d'Oise

Une histoire d'amour qui ne fait pas son âge
Article publié le dimanche 31 octobre 2021 à 12h50
Dès ses débuts, le cinéma s'est intéressé au monde qui l'entoure. Avec un regard de reporter, les frères Lumière ont filmé la Sortie des usines Lumière ou L'arrivée d'un train en gare de La Cieutat (1895). D'autres précurseurs ont franchi les murs de Paris ou parcouru des contrées lointaines pour représenter la vie quotidienne dans la banlieue, le couronnement d'un roi ou une irruption volcanique.

En 1901, un opérateur des actualités Gaumont immortalise les Patineurs sur le lac d'Enghien. Cette bobine montre des hommes, en costume et chapeau, virevolter sur un lac gelé. La proximité de la capitale explique le choix de cette ville thermale, l'extraordinaire se trouvant aussi bien derrière les anciennes fortifications qu'à l'autre bout du monde.

Dans son adolescence, le septième art immortalise Louis Blériot essayer son hydroglisseur sur la Seine, à Argenteuil, les pèlerins venant au cimetière polonais de Montmorency, des boy-scouts belges à la caserne de Pontoise ou encore, des régatiers à Herblay (Gaumont, 1912, 1917, 1918 et 1920). En 1924, pendant les Jeux Olympiques de Paris, Pathé suit les courses de voiliers à Argenteuil et le marathon Colombes-Pontoise – où l'on voit des coureurs de fond faire halte au relais intermédiaire de Pierrelaye, et déguster un ballon de vin rouge offert par des serveurs en tablier.

Dans le même temps, l'illusionniste Georges Méliès a inventé le cinéma de fiction en studio. Ici, les prises de vues en extérieur servent seulement à illustrer le récit : une cavalcade dans une rue, une descente de voiture, l'entrée d'un porche ou la façade d'une maison. Les mises en scène de plus en plus élaborées abandonnent les techniques du théâtre, les caméras se font plus mobiles dans des décors plus réalistes, l'arrivée du parlant impose l'insonorisation des plateaux.

Les années 1930 et 1940 privilégient les sujets contemporains et rares sont les réalisateurs qui préfèrent les décors naturels. En 1927, dans La Glace à trois faces, Jean Epstein filme, à L'Isle-Adam, trois femmes amoureuses du même homme. Un an plus tard, il récidive à Magny-en-Vexin pour La Chute de la maison Usher. En 1932, Jean Renoir adapte La Nuit du carrefour de Simenon, et l'enveloppe d'une brume matinale sur la nationale 1 à Bouffémont.

L'avènement de la couleur entraîne la modification d'un ensemble de paramètres. Les tournages en extérieur deviennent moins contraignants, l'évolution technique du matériel offrant une grande liberté de mouvements. L'arrivée de la nouvelle pellicule Kodak, ultrasensible, et celle du magnétophone Nagra allègent les déplacements avec des camions dédiés à la lumière et au son. En même temps, les studios traversent de gros problèmes financiers et leurs propriétaires préfèrent réaliser de belles opérations immobilières, au moment où les prix des terrains flambent autour de Paris. Les extérieurs sont de plus en plus recherchés : le cheval en feu de Thomas l'imposteur galope dans le centre de Sannois, en pleine rénovation (Georges Franju, 1965). Henri Verneuil (Mélodie en sous-sol, 1963) et Denys de la Patellière (Rue des prairies, 1959) filment les grands ensembles de Sarcelles en construction. La Nouvelle Vague renforce cette tendance. À l'instar de Claude de Givray à Auvers-sur-Oise (Un mari à prix fixe, 1965) ou de Jean Douchet à Montmorency (Le Permis de conduire, 1966), elle sort dans la rue et réintègre les personnages dans la ville avec le souci esthétique de décrire « réellement » les lieux, parties prenantes du scénario.

L'Ile-de-France concentre la plupart des professionnels français du cinéma et 80% de la production nationale – à moins de 50 km de Paris, la convention collective n'exige pas que l'équipe soit logée sur place, ce qui réduit considérablement les coûts. La région dans son ensemble et le Val-d'Oise en particulier sont de formidables magasins de décors. Châteaux, églises, cimetières, aérodromes, gares, routes, maisons bourgeoises ou simples pavillons, usines, écoles, mairies, etc., offrent toute la panoplie nécessaire à des fictions d'inspiration diverse.

Ceux qui louent un site à une production sont toujours étonnés de ne pas le reconnaître à l'écran. Le lieu est modifié, domestiqué, et son choix oblige parfois à réviser le scénario. Il est fréquent qu'un personnage entre dans une pièce puis se retrouve par magie dans une autre. Bibi Fricotin (Marcel Blistène, 1951) plonge à Paris dans la Seine et réapparaît dans l'Oise, à la plage de L'Isle-Adam. Dans La vie passionnée de Vincent van Gogh (1956), Vincente Minnelli prolonge artificiellement le cycle naturel des plantes pour que Kirk Douglas puisse peindre les champs de blé d'Auvers en plein mois d'août. Dans Les Anges gardiens (1995), Jean-Marie Poiré camoufle une cabine téléphonique à Écouen et en installe une autre, factice, près de l'église. En voyant la terrasse qui entoure le domaine Saint-Léger de Villers-en-Arthies, Bertrand Tavernier a rectifié les déplacements des comédiens d'Un dimanche à la campagne (1984). Les décorateurs des Allumettes suédoises (Jacques Ertaud, 1996), arrivés à Pontoise plusieurs jours avant le tournage, font du quartier de la Harengerie un Montmartre de la Belle Époque, que la ville promeut la même année lors des Journées du Patrimoine.

Mais la sélection d'un village comme simple toile de fond d'une histoire peut aussi susciter des incompréhensions et des frictions avec les habitants. En 1983, les anciens combattants revendiquent l'interdiction du tournage du Retour des Bidasses en folie en manifestant contre Michel Vocoret, qui a transformé la mairie de Belloy-en-France en kommandantur. Un an plus tard, Eddy Mitchell travesti en Frankenstein 90 (Alain Jessua) scandalise les paroissiens de l'église Saint-Étienne de Fosses.

Entre ville et campagne, les équipes peuvent aisément clore un endroit et travailler en parfaite autarcie. Dans cette utilisation du « stock » disponible, les lieux sont rarement identifiés, situés. Ici est ailleurs : Theuville, Saint-Prix ou Grisy-les-Plâtres sont le cadre d'intrigues se déroulant en Corse (Comme elle respire, Pierre Salvadori, 1998), dans le Massif Central (Soyez les bienvenus, Pierre Louis, 1953) ou en Bourgogne (Les Aristocrates, Denys de la Patellière, 1955). Hérouville est rebaptisé Tellier dans La Fiancée du pirate (Nelly Kaplan, 1969), Boissy-l'Aillerie, Thiviers en Périgord dans Les Fantômes de Louba (Martine Dugowson, 2001).

L'exemple d'Éric Rohmer, qui dès le générique de L'amie de mon amie (1987), s'attarde sur la pancarte « Hôtel de Ville de Cergy-Pontoise » et fait de la ville nouvelle un personnage à part entière, est rare. Ses collègues filment parfois la banlieue – Hexagone à Goussainville ou Voisins, voisines à Sarcelles (Malik Chibane, 1994 et 2005) ; ils tournent plus souvent en banlieue, choisie comme arrière-plan : le joueur de poker de Trois hommes à abattre (Jacques Deray, 1980) échappe à l'incendie d'une station-service à Saint-Ouen-l'Aumône, l'Itinéraire d'un enfant gâté (Claude Lelouch, 1988) s'arrête dans un hôtel de Groslay, mais aucune de ces villes n'est citée. Parfois encore, les lieux évoqués ne sont pas les lieux représentés : le père de l'héroïne du Fabuleux destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001) est ainsi réputé vivre à Enghien mais, quand elle lui rend visite, sa fille descend à la gare d'Ermont-Eaubonne.

Les grandes stars du département sont l'aéroport de Roissy/Charles-de-Gaulle, la ville de Pontoise, le village de Theuville, le fort de Cormeilles-en-Parisis et la base de loisirs de Cergy-Neuville. Grâce à son environnement protégé, le Vexin français représente un archétype de la campagne. La vie s'y déroule dans un cadre bucolique et paisible – L'Ours et la poupée à Chérence (Michel Deville, 1969) – ou dans une société conservatrice et arriérée – Prêtres interdits à Grisy-les-Plâtres (Denys de la Patellière, 1974).

Le patrimoine architectural du parc naturel est propice aux reconstitutions historiques. Riccardo Freda a retenu le domaine de Villarceaux à Chaussy pour ses Deux orphelines (1965) ; c'est au château de Villette à Condécourt que Patricia Mazuy a installé Saint-Cyr, le pensionnat de jeunes filles nobles et désargentées de Madame de Maintenon (2001) ; Benoît Jacquot a pris le château de Vigny comme cadre des aventures sentimentales d'Adolphe (2002) ; Richard Dale reconstitue le quartier général du maréchal Rommel au château de La Roche-Guyon dans D Day 6. 6. 44 (2004).

Bien d'autres films en costumes ont été, sont ou vont être tournés dans le Val-d'Oise. L'équipe chargée de reconstituer la Lutèce gallo-romaine pour une visite virtuelle sélectionne le sanctuaire de sources de Genainville (2011). Didier Le Pêcheur fait de l'abbaye cistercienne Notre-Dame du Val, à Mériel, La Commanderie hospitalière d'Assier en Bourgogne (2009). Galilée ou l'Amour de Dieu se déroule en partie chez le connétable Anne de Montmorency, au château d'Écouen (Jean-Daniel Verhaeghe, 2005). Au château d'Épinay-Champlâtreux, le maître d'hôtel Vatel, cherche à regagner la faveur de Louis XIV au prince de Condé (Roland Joffé, 2000). Pour le bicentenaire de La Révolution française, Robert Enrico reconstruit la Bastille à Nucourt (1989). L'Autre Dumas affronte son "nègre" dans un souterrain du Fort de Cormeilles-en-Parisis (Safy Nebbou, 2010). Le mari de Blanche Maupas se mutile sur un champ de bataille de la Première guerre mondiale installé à Arronville (Patrick Jamain, 2010).

Pensionnat de garçons (Les Disparus de Saint-Agil , Christian-Jacque, 1938) ou couvent de femmes (La Religieuse , Jacques Rivette, 1962), accueillante aux "mystères" du Moyen Âge (Les Miracles de saint Nicolas, Christian de Saint-Maurice, 1967) comme aux séries policières (B.R.I.G.A.D., Yves Angelo, 2000) ou aux documentaires-fictions (Édouard Drumont : histoire d'un antisémite français, Emmanuel Bourdieu, 2011), l'abbaye de Royaumont concilie tous les rôles grâce à la splendeur de son architecture, des miroirs d'eau de son parc et de ses jardins.
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